vendredi 29 janvier 2016

MODERN EXPRESS dérive, intervention et menace de pollution ? Aspects juridiques et opérationnels.

Depuis le 26 janvier et l'appel de détresse émis par le roulier MODERN EXPRESS on parle beaucoup de ce navire en situation délicate dans le Golfe de Gascogne.
Avant d'évoquer les aspects juridiques de la situation et, en particulier, le(s) régime(s) de responsabilité qui seraient mis en œuvre en cas de pollution (ici par fuel de soute essentiellement), nous voulons apporter quelques précisions utiles.
Le lecteur peut nous joindre par email ou au 02.98.05.00.86 pour plus d'informations sur les aspects juridiques de la situation actuelle, et à venir, du MODERN EXPRESS. 

Informations sur le navire :
Numéro OMI (IMO number) : 9231688
Type cargo roulier / vehicles carrier
Pavillon du Panama

Construit en 2001 il présente un tirant d'eau de 8,71 mètres pour une longueur de 156 mètres et une largeur de 28 (et non pas 400 m. de long comme lu ou entendu...) pour plus de 33.000 tonnes de port en lourd.

Le 26 janvier à 10 h 12 (UTC), sa dernière position connue par le système AIS était : 45.79554 de latitude Nord et 8.76907 de longitude Ouest, pour une vitesse d'environ 16 nœuds.
Le navire était attendu au Havre le 27 vers 18 heures.

Saluons les opérations menées jusqu'à présent par le Marine nationale pour, notamment, évacuer l'équipage.


Du point de vue juridique la lecture de cette situation peut se faire sur 3 volets : la Prévention, l'Intervention, la Réparation.

La Prévention : Ici le volet prévention ne peut être encore analysé : on imagine pour le moment que le navire était exploité dans des conditions conformes aux exigences du droit de la sécurité maritime(au sens large) et du droit maritime. Les règles de construction, de contrôle du navire, d'entretien, de formation de l'équipage, d'équipement de prévention de la pollution, les conditions d'armement et d'affrètement, de chargement du navire, d'assurance, etc, répondent à des règles et normes fixées par le Droit international, appliquées et complétées par les Etats (Etat du Pavillon, Etat du port, Etat côtier).
Mais un incident s'est produit, causé ou aggravé par les conditions de mer, et entrainant le mouvement de la cargaison du roulier et la gite importante que l'on connait...

L'Intervention :
L'intervention en Mer :
Le Droit international, coutumier et conventionnel (Convention sur le Droit de la Mer de 1982, Convention Intervention de 1969, Convention sur l'assistance de 1989 notamment) permet à l'Etat côtier menacé par un risque de pollution (mais pas uniquement) ou dans une situation présentant un risque pour la navigation, de prendre les mesures nécessaire pour faire cesser ce risque.
Ces mesures nécessaires peuvent être prises d'office en cas d'urgence comme le prévoit le dispositif français aujourd'hui intégré au Code de l'environnement. C'est dans ce cadre que l’assistance a été apportée au navire et imposée à l'armateur / propriétaire sous l'autorité du Préfet Maritime, représentant l'Etat dans les eaux sous souveraineté et juridiction nationale. C'est dans ce cadre également que le remorqueur Abeille Bourbon, affrété par l'Etat, et la frégate Primauguet interviennent depuis maintenant 5 jours. L'armateur / propriétaire devant mettre en œuvre les moyens nécessaires pour la sauvegarde de son navire et mettre un terme au danger qu'il représente...
Du point de vue opérationnel le cadre de l'intervention est donc fondé sur des bases solides tant en droit international qu'en droit interne. En revanche dans la pratique les opérations s’annoncent complexes.

On a déjà pu entendre des critiques quant au manque d'un remorqueur de haute-mer prépositionné aux abords du Golfe de Gascogne. En effet l'Abeille Bourbon est basée à Brest et les capacités d'intervention de l'Etat en mer mériteraient d'être complétées par un autre navire du même type (basé à La Rochelle ou Saint-Nazaire). Il s’agit de gagner du temps et de ne pas "déshabiller" la zone Manche et la Mer du Nord, ou de compromettre une autre intervention concurrente.

L'Intervention à Terre :
On a également pu entendre des critiques quant à la notion de "port refuge". En l'espèce la question ne se pose que du point de vue opérationnel : le Préfet Maritime doit décider où abriter le navire pour le sécuriser et permettre la vidange des fuels de propulsion et autres produits polluants, voire le transfert de la cargaison. Il peut imposer au nom de l'Etat l'accueil du navire à une autorité portuaire. Mais sa décision sera conditionnée par les conditions de mer et la fiabilité du remorquage.
Si le remorquage du navire devient possible il sera probablement orienté vers une zone plus calme avant d'être acheminé vers une zone d'accueil adaptée. Ensuite des choix devront être faits : Accueil dans un port ? Mouillage dans une baie ? Échouage sur une plage ?
Si le remorquage ne permet pas de maitriser la situation il est possible que la décision de guider ou d'orienter (de laisser ?) le navire vers une plage adaptée à un échouage (volontaire) ou un échouement (accidentel) constitue l'issue probable - et souhaitable ? - dans les scenarii étudiés par l'AEM.

Risque de pollution, pompage et récupération des hydrocarbures :
Quoiqu’il arrive, inévitablement, la question du risque de pollution se pose : environ 400 m3 (certainement plus de 300) de fuel de propulsion sont à bord du MODERN EXPRESS. En termes environnementaux ce carburant lourd constitue le risque essentiel, même s'il ne faut pas négliger les huiles et fluides polluants des engins de TP embarqués à bord du navire (si ces engins en contiennent) et les autres huiles de soutes. Dans l'absolu il s'agit d'un faible volume de polluant mais en fonction des circonstances l'environnement marin et côtier peut être sérieusement impacté dans une zone limitée (et qu'il convient de limiter au maximum ).

Juridiquement, si le navire est à la côte, le cadre français de l'intervention à terre et de la lutte contre la pollution (y compris à titre préventif) est celui de l'Organisation de Réponse de SEcurité Civile (ORSEC) dans son volet dédié : le Plan POLMAR (Terre, ici). Ce dispositif ne sera pas nécessairement déclenché : tout dépend de l'étendue du risque, de son intensité, du fait qu'il concerne le territoire de plusieurs communes, ou encore de l'importance des moyens à mettre en œuvre pour contenir et lutter contre la pollution. Si c'était le cas l'Etat et ses services, ainsi que les moyens communaux ou intercommunaux (infra POLMAR) seraient mobilisés sur le littoral.
Un point important, stratégique, s'impose alors : celui de la récupération des hydrocarbures de soutes (propulsion) du navire : il sera nécessaire de pomper ces hydrocarbures, rapidement et de manière sécurisée. Le propriétaire / armateur du MODERN EXPRESS sera très probablement mis en demeure de procéder à la "dépollution" de son navire une fois que celui-ci sera échoué. L'Etat pourra également y procéder d'office.
Si le navire est mis à l'abri dans une rade ou une baie, ou encore à flots en zone portuaire, il faudra là aussi procéder au pompage des hydrocarbures et à leur transfert vers un navire citerne.

Dans tous les cas il faudra intervenir et être efficace du point de vue de la sécurité des intervenants, de la maîtrise des coûts et des effets sur l'environnement.

On note que cette partie des opérations de sauvetage et de lutte contre la pollution n'est pas encadrée par la réglementation internationale : c'est aux opérateurs de secours, publics ou privés, de gérer la situation indépendamment du type de navire et de ses équipements. Pourtant des solutions techniques simples et efficaces existent pour faciliter ces opérations et adapter le navire à la récupération des polluants. Les solutions FOR (Fast Oil Recovery) permettent ainsi d'accéder aux cuves du navires par des branchements prévus et des canalisations dédiées et déjà installées à bord à la construction du navire (ou même après). Les opérateurs de secours et d’assistance savent ainsi où et comment intervenir à bord du navire accidenté.
Dans ce type de situation et face à un volume réduit d’hydrocarbures le risque existe déjà, et on sait que les enjeux seraient considérables si il s'agissait d'un pétrolier ou d'un porte conteneurs géant...

Il est donc important que la réglementation internationale intègre également dans son volet "Prévention et Intervention", l'obligation pour tout navire de commerce d'intégrer des solutions pour faciliter et optimiser les opérations de récupération des fluides polluants. Les solutions du type FOR Systems qui équipent déjà des grands navires de commerce doivent être généralisées au bénéfice de la protection de l'environnement marin et littoral.

La Réparation : Pour le moment le scenario le plus probable, en écartant une perte totale du navire (qu'il conviendra là aussi de dépolluer, et la question de la récupération des soutes se posera également), est sans doute celui d'une stabilisation puis d'un échouage ou échouement. Le propriétaire / armateur du navire est responsable si du fuel de soute venait à s’échapper en mer ou sur le littoral en provoquant une pollution du milieu, même localisée.
Un régime de responsabilité civile existe dans ce type de situation : celui issu de la Convention Bunker de 2001 qui vise la responsabilité civile en cas de pollution par fuel de soute pour un navire autre qu'un navire citerne. Une obligation d'assurance spécifique couvrant les dommages par pollution consécutifs interviendrait pour indemniser les victimes, jusqu'à un certain montant dépendant essentiellement de la jauge du navire. L'autre volet de la responsabilité civile du propriétaire du navire (RC de droit commun / Convention LLMC ) visera dans un autre cadre les conséquences (coûts) des opérations de sauvetage et d'assistance menées jusque là.
On souligne encore l'intérêt de voir imposer des équipements de récupération des hydrocarbures à bord des navires (FOR Systems) : être plus efficace, réduire les coûts d'intervention, réduire les risques et les conséquences dommageables sur l'environnement dans un système d'assurance qui est limité en montant disponible.

Nous suivons les opérations et adapterons nos commentaires en fonction de l'issue des opérations de secours.

Yann Rabuteau, Juriste expert, Réseau ALLEGANS. Brest.
y.rabuteau@allegans.com

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